Monche - Poussière couleur sang
- Par brasseur-vansnick
- Le 03/01/2021
- Dans infos
Poussière couleur sang
[La gazette de Monche] – Branlebas de combat dans la ville ! La carte de vœux envoyée quelques jours avant Noël par l’échevine monchoise Mathilde Borain-Minette déclenche une alerte chimique.
Carterie Jalat créations (rue commerçante de Monche), 14 décembre
Adélaïde Jalat. – Voilà, madame l'échevine.
Mathilde Borain-Minette. – En tout cas, c’est un joli métier que vous faites. Dessiner des cartes postales ! Ça m’aurait bien plu. Je veux dire, si j’avais eu du temps à perdre…
Adélaïde Jalat. – Je vous ai montré à peu près tout ce que j’ai en stock.
Mathilde Borain-Minette. – Des trolls dans la neige, des trolls sous le sapin, des trolls dans la crèche. Ça fait beaucoup de trolls.
Adélaïde Jalat. – C’est que c’est en quelque sorte mon univers artistique depuis quinze ans.
Mathilde Borain-Minette. – Moi, je voudrais que ma carte fasse local. Qu’on se dise : « Ça c’est typiquement Monchois. » Et bon, des trolls à Monche… à part dans les rangs de l’opposition au Conseil communal…
Adélaïde Jalat. – Vous auriez dû m’en parler plus tôt, je travaille justement sur un projet…
Mathilde Borain-Minette. – Montrez voir.
Adélaïde Jalat. – Ce n’est pas encore au point.
Mathilde Borain-Minette. – Oui mais croyez-moi, si vous attendez d’être au point, ça risque d’être long.
Adélaïde Jalat. – C’est une vue de Monche. L’impression est faite avec de la houille extraite de l’Héributte.
Mathilde Borain-Minette. – Exactement ce que je veux ! Faites-m’en 250 avec l’inscription Meilleurs vœux 2021.
Adélaïde Jalat. – Le procédé d’encrage est encore en phase de test.
Mathilde Borain-Minette. – Eh bien, testez ! C’est très bien. Vous mettrez la facture au nom de la Commune.
Pharmacie de Meschines, 26 décembre, au matin
Dorothée Broutard, la pharmacienne. – Entrez, monsieur Sturion. Je termine avec le courrier et je suis à vous tout de suite.
Landry Sturion, le client. – Vous ouvrez de plus en plus tard.
Dorothée Broutard. – C’est vous qui êtes de plus en plus matinal. Comment allez-vous ?
Client. – Mal. Sinon, je ne serais pas là.
Dorothée Broutard. – Eh oui !
Client. – Ça fait bien vos affaires, hein ! Vous avez de quoi retapisser la boutique avec toutes les prescriptions que je vous apporte.
Dorothée Broutard. – Allons, allons, monsieur Sturion… (Une poussière rougeâtre s’échappe de l’enveloppe qu’elle vient de déchirer.) Oh là !
Client. – Qu’est-ce que c’est que ça ?
Dorothée Broutard. – Je ne sais pas. C’est une lettre qui vient de la Ville.
Client. – Oh ça, madame Broutard, ça ne sent pas bon. De la poudre dans une enveloppe, c’est quelque chose de pas normal.
Dorothée Broutard. – Beh non.
Client. – C’est un attentat chimique ! Je vous parie mon dentier.
Dorothée Broutard. – Un attentat ?! Mais pourquoi ? Pourquoi moi ?
Client. – C’est pas contre vous personnellement, c’est à Big Pharma qu’ils s’attaquent.
Dorothée Broutard. – Mon Dieu ! J’ai sûrement quelque part un antidote…
Client. – Vous feriez mieux d’appeler les secours. Faut pas avaler n’importe quoi… Sans savoir si vous n’allez pas tomber sur du placebo.
Hôpital Malbarré, 26 décembre, début d’après-midi
Docteur Eremurus. – C’est vous qui avez apporté le plateau-repas à la malheureuse victime ?
L’infirmière. – Oui. Madame Broutard est en état de choc mais elle ne présente aucun symptôme.
Docteur Eremurus. – ... Pour l’instant ! Pour l’instant ! Attendez de voir.
L’infirmière. – C’est vous le spécialiste.
Docteur Eremurus. – Statistiquement, le décès survient brutalement. Dans les 24 heures.
L’infirmière. – Et on ne peut rien faire ?
Docteur Eremurus. – Alerter l’opinion publique. Il faut empêcher la population d’ouvrir son courrier.
L’infirmière. – Vous ne pensez pas que c’est un peu précipité ?
Docteur Eremurus. – Si on ne fait rien maintenant, dans un mois c’est quinze mille cadavres qui jonchent les rues de Monche. C’est ça que vous voulez ?
L’infirmière. – Non bien sûr…
Docteur Eremurus. – Je vais tout de suite donner une conférence de presse. L’heure est grave. J’espère que les autorités publiques sauront faire preuve de fermeté.
L’infirmière. – C’est-à-dire ?
Docteur Eremurus. – Tous les postiers de la région doivent immédiatement se mettre en quarantaine et subir une biopsie. Les boîtes aux lettres seront passées au lance-flamme. Et il faut au plus vite qu’on installe un cordon sanitaire de quinze mètres autour de chaque bureau de poste. Avec des miradors si possible !
L’infirmière. – Docteur, vous me faites peur !
Docteur Eremurus. – Tant mieux, mademoiselle, tant mieux ! Vivre dans la peur, c’est se tenir à l’écart du danger. Se tenir à l’écart du danger, c’est se donner toutes les chances de survivre. Survivre, c’est désormais notre unique but dans l’existence.
Laboratoire d’analyses, 26 décembre, fin d’après-midi
Laureline. – C’est incroyable, ces nouvelles machines. Elles te donnent les résultats en cinq minutes alors qu’avant, il fallait cinq heures. Au moins.
Armelle. – C’est dingue.
Laureline. – Passe-moi l’échantillon. C’est bien le bon ?
Armelle. – « Broutard D., 26-12-20 ».
Laureline. – Okay. Regarde, tu places ça là.
Armelle. – Avec le bidule au-dessus ou en dessous ?
Laureline. – On s’en fout.
Armelle. – Ah.
Laureline. – Tu règles le bouton sur ‘full scan’.
Armelle. – C’est normal que ça fasse bip-bip ?
Laureline. – T’occupes pas. – Et après, tu vas mettre en marche… en confirmant la mise en marche.
Laureline. – Ça se tient.
Armelle. – Et c’est parti.
Laureline. – C’est parti… (Long silence d’attente.) … mon kiki.
Armelle. – Oui, parfois ça prend un peu de temps.
Laureline. – C’est sûrement l’ordi qui préchauffe…
Armelle. – Ah zut, il fait des mises à jour, en fait.
Laureline. – Prout !
Armelle. – En général, ça prend douze heures.
Au téléphone, 27 décembre
Guillemette Taupin. – Bonjour, ici le secrétariat de madame Borain-Minette.
Agathe Fistule. – Qui ?
Guillemette Taupin. – L’échevine de la ville de Monche. Mathilde Borain-Minette.
Agathe Fistule. – Je vote pas pour elle.
Guillemette Taupin. – Elle vous a envoyé une carte de vœux.
Agathe Fistule. – Je m’en fous.
Guillemette Taupin. – D’accord. C’est juste pour dire qu’il y a un peu de poudre à l'intérieur de l’enveloppe parce que la teinture se décolle.
Agathe Fistule. – C’est pas mon problème. Je suis pas teinturière.
Guillemette Taupin. – Non, bien sûr. On voulait vous prévenir, c’est tout. Au revoir madame, bonne journée.
Agathe Fistule. – C’est ça. Faut plus appeler, hein !
Guillemette Taupin. – Allô, madame Rason-Visière ?
Blanche Rason-Visière. – Oui, mais non, il ne me faut rien. Bonsoir.
Guillemette Taupin. – Allô ? Madame ?... – Oh, la vieille croûte !... – Monsieur Lachouille ?
Herbert Lachouille. – Lui-même. Herbert Lachouille, journaliste à La Provinche.
Guillemette Taupin. – Aïe. C’est… c'est le secrétariat de l’échevine Borain-Minette ici.
Herbert Lachouille. – Ah, ah. Dites-moi tout.
Guillemette Taupin. – Oui… enfin, ce n’est pas la peine que ça s’ébruite, hein.
Herbert Lachouille – Vous m’intéressez de plus en plus.
Guillemette Taupin. – C’est juste que l’échevine vous a envoyé des vœux et qu’il y a peut-être de la poussière dans l’enveloppe.
Herbert Lachouille. – « De la poussière » ?
Guillemette Taupin. – Deux, trois grains. Rien de bien méchant.
Herbert Lachouille. – Ecoutez, ne vous fatiguez pas. Je connais vos bureaux et ça tombe bien, je suis dans le secteur ; alors, vous allez me raconter ça de vive voix.
Guillemette Taupin. – Beh non, en fait…
Herbert Lachouille. – Faites confiance à papa Lachouille, on peut tout lui dire.
Guillemette Taupin. – Oui, mais j’ai encore pas mal de coups de fil à passer…
Herbert Lachouille. – Eh bien, je viens les passer avec vous. Ne bougez pas.
Guillemette Taupin. – Monsieur Lachouille ?... Allô ? – Eh merde !
Texte de Jérémie Brasseur, basé sur un jeu de rôle créé avec Joseph Cau, Sophie Gérin, Teresa Maggiordomo et Sandrine Vansnick le 30 décembre 2020. Scénario inspiré d’un fait divers : La carte de vœux envoyée par le Député de l’Hérault à la banque de France a déclenché une alerte chimique / herault-tribune.com - 21 décembre 2020