Monche - Saint Armulphe

Saint Armulphe perd la tête

[La gazette de Monche] – La statue de saint Armulphe (quartier de Meschines) décapitée par un mouvement de grue : le buste est allé s'enfoncer dans la voûte. Les travaux de rénovation de l’église entrepris il y a cinq ans, venaient de s’achever.

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Bistrot de Meschine (Monche), 7 décembre - 2h00​​​​​​​

Célestin. –  Alors quoi ? On fout les clients à la porte, maintenant ?

La patronne. – Rentre chez toi, Célestin. Il est deux heures du mat’.

Célestin. – La fin d’un chantier, c’est quelque chose qui se fête dignement !

La patronne. – Quinze Pils, je crois que c’est assez digne. Allez ouste ! Ta femme doit se demander si tu n'es pas coincé là-haut, dans ta grue.

Célestin. – Beuh, ma femme... J’aime autant filer : la conversation tourne au vinaigre !

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Église Saint-Armulphe - 11h00

Dorothée. – Pour le Cantique de Saint-Armulphe, Blanche… Je ne voudrais rien dire. Après tout, c’est toi la cheffe…

Blanche. – Non, mais je t’en prie, Dorothée. Qu’est-ce qu'il y a ?

Dorothée. – Avec plusieurs de la chorale, on se disait : est-ce que cette année, tu ne devrais pas laisser quelqu’un d’autre interpréter la partition solo ?

Blanche. – Qui, par exemple ?

Dorothée. – Moi, peut-être.

Blanche. – Eh bien, ce serait du joli. Vu les fa dièses que tu nous sors, faudrait pas s’étonner si le ciel nous tombe sur la tête.

Chez Marthe et Célestin - 11h15

La voisine. – Ça existe, ‘kwurq’ ? Avec un Q au bout ?

Marthe. – ‘kwurq’ ?

La voisine. – Oui. K.W.U.R.Q.

Marthe. – Eh bien, c'est une drôle de coïncidence ! pas plus tard que ce matin, je disais à Célestin : « Dis donc, vieux pochtron, c’est pas parce que tu passes la nuit au café que tu vas rester au pieu jusqu'à midi. Bouge-toi la bedaine, y a un kwurq qui t'attend dans ta grue. »

La voisine. – C’est vrai ​​​​​​​?

Marthe. – Ben non.

La voisine. – Ah, je me disais aussi...

Marthe. – Arrête d’inventer des mots. Sinon, je te préviens ​​​​​​​: je ne joue plus au Scrabble avec toi.

Chantier de l’église Saint-Armulphe, au pied de la grue - 11h30

Titi. – Faut le renvoyer chez lui, Nanard. Tu as vu l’état dans lequel il est ​​​​​​​! Il arrivera jamais là-haut. Il va dégringoler et y aura de la ratatouille de Célestin partout sur le parvis.

Nanard. – Mais non, c’est un pro, Tintin. Fais confiance, un peu ​​​​​​​!

Titi. – Il va se vautrer, je te dis. Déjà, quand il s’est pointé en titubant avec trois heures de retard, je me suis dit ​​​​​​​: « ​​​​​​​Ça, ça pue ​​​​​​​! ​​​​​​​»

Nanard. – T’as le nez trop délicat, Titi.

Chez Sibylle Cruche, en face de l’église - 11h45

Un vacarme assourdissant. Cris d’effroi.

Sybille Cruche. – Seigneur ​​!

La femme à journée. – Qu’est-ce que c’est ​​​​​​​?

Sybille Cruche, regardant par la fenêtre. – Ah, ben, voilà ​​​​​​​! Quand je disais que c’était tous des bras cassés sur ce chantier. Ils ont tapé dans la statue avec la grue.

La femme à journée. – La statue ​​​​​​​? Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ​​​​​​​!

Sybille Cruche. – Comme tu dis, Guillemette. Ils nous l’ont complètement décapitée. Mais ne te laisse pas distraire, continue à torchonner. S’il y a du neuf, je te raconte.

À quelques rues de l’église - 11h52

Agathe Fistule. – Vite, Lilas. Dépêche un peu ​​​​​​​!

La collègue. – Moi, ça me coupe les jambes quand on me presse comme ça à l'heure de la pause-déjeuner.

Agathe Fistule. – Bon, reste là, moi j’y vais. S’il y a des blessés, c’est une question de secondes.

La collègue. – De secondes, carrément ​​​​​​​?

Agathe Fistule. – Et si jamais je n’en sortais pas vivante, dis à Philibert que je l’ai aimé jusqu’au bout.

La collègue. – Mais…

Agathe Fistule. – Tu n’auras qu’à lui dire ​​​​​​​: « ​​​​​​​Philibert, elle s’est éteinte dans mes bras et dans son dernier souffle, elle a murmuré ​​​​​​​: Philibert, mon Philibert, tu es ce qui m’est arrivé de plus beau dans la vie… ​​​​​​​» – Non, c’est trop long, ça. Dis-lui ​​​​​​​: « ​​​​​​​Elle a soupiré Philibert, très doucement comme ça dans un dernier spasme. Son regard se voila et ce fut fini. ​​​​​​​»

La collègue. – Agathe ​​​​​​​!

Agathe Fistule. – Et puis, aussi, si tu pouvais boucler pour moi le bilan du trimestre...

Intérieur de l’église Saint-Armulphe - 14h00

L’architecte. – Rho là là ​​​​​​​!…

L’assureur. – C’est clair qu’il y a de la casse. C’est l’autre bout de la statue, là-haut ​​​​​​​?

L’architecte. – Ben oui ! ça a perforé le toit et c’est venu s’encastrer dans la voûte. D’où le merdier où nous sommes.

L’assureur. – Elle était pas trop bien foutue, hein ​​​​​​​?

L’architecte. – De quoi ​​​​​​​?

L’assureur. – La statue. Non, c’est sûr que lorsqu’elle était perchée sur le toit, de loin ça faisait de l’effet. Mais ainsi, la tête en bas…

L’architecte. – Je ne sais pas comment on va s’en sortir… Y en a pour des mois de chantier ​​​​​​​!

L’assureur. – Ils lui ont fait le nez trop gros en fait.

Quartier de Meschines - 14h30

Le journaliste. – Et dites, au moment de percuter la statue, le grutier n’aurait pas crier quelque chose comme Allahou akbar, par hasard ​​​​​​​?

Le témoin. – Non, je crois pas.

Le journaliste. – Ou même seulement Allah ​​​​​​​! comme ça, l’air très fâché…

Le témoin. – Pas que je sache.

Le journaliste. – Je vous demande ça parce que là, c’est sûr, on ferait la une. Même, tenez, si vous me disiez que le gars avait une grande barbe noire…

Le témoin. – Ben… à moins que ça lui soit poussé depuis…

Le journaliste. – Décidément, il n’arrange pas mes affaires, ce grutier.

Sacristie de Saint-Armulphe – 18h00

L’abbé Doucin. – Encore une fois, il n’y a pas de cérémonial prévu pour ça…

La femme à journée. – Mais monsieur l’abbé, c’était une statue sacrée tout de même.

La voisine. – Certainement bénie par le cardinal.

L’abbé Doucin. – Par le Pape tant que vous y êtes ​​​​​​​! Bon, écoutez, je vous fais une petite prière et vous pouvez considérer que vous êtes à l’abri de toute malédiction. Tous autant que vous êtes. On fait comme ça ​​​​​​​?

Nanard. – C’est vous, le patron ​​​​​​​!

L’abbé Doucin. – Seigneur Dieu, regarde tes fidèles rassemblés en ta sainte maison… quelque peu endommagée certes, mais sainte maison quand même.

L’assureur. – Vous savez ce qu’on dit ​​​​​​​: tant que c’est juste des dégâts matériels…

L’architecte. – Rho là là ​​​​​​​!

Titi. – Moi, je l’avais dit, qu'il fallait pas le laisser grimper dans la grue.​​​​​ Vous savez ce qu'on m'a répondu ? Que j'avais le nez délicat…

L’abbé Doucin. – Seigneur, accorde ton pardon à ceux qui picolent un peu trop…

Célestin. – Ben oui, mais moi les fins de chantier…

L’abbé Doucin. – Bouclez-la, vous. Et à ceux qui leur remplissent leur verre…

La patronne. – Y a pas de sot métier.

L’abbé Doucin. – Silence.

Blanche. – Mais oui, taisez-vous.

L’abbé Doucin. –  Et à celles qui nous cassent les oreilles…

Blanche. – Hein ​​​​​​​?

Dorothée. – Si même le curé le dit...

L’abbé Doucin. – Et je dis celles au pluriel.

Dorothée. – Monsieur l’abbé ​​​​​​​!

L’abbé Doucin. – Bon, je passe en vitesse sur l’épouse acariâtre…

Marthe. – Dites donc ​​​​​​​!

L’abbé Doucin. – La voisine persifleuse…

Sybille Cruche. – Oh !

L’abbé Doucin. – Les sauveteuses d’opérette et celles qui suivent comme des caniches…

Agathe Fistule. – Il commence les tirs groupés.

La collègue. – Oui, ça fait bâclé.

L’abbé Doucin. –  Et allez hop ​​​​​​​! miséricorde aussi pour les fouille-merde.

Le journaliste. –  Ça c’est pour moi, mais bon, j’ai l’habitude.

Le témoin. – Amen ​​​​​​​!

L’abbé Doucin. – Allez en paix, la messe est dite.

 

Texte de Jérémie Brasseur, basé sur un jeu de rôle créé avec Joseph Cau, Sophie Gérin, Teresa Maggiordomo et Sandrine Vansnick le 16 décembre 2020. Scénario inspiré d’un fait divers ​​​​​​​: Cathédrale de Liège : la statue de Saint Paul coupée en deux ! - RTC Télé Liège​​​​​​​