rencontre - Benoît Miclotte

Rencontre avec un passionné

Benoît Miclotte, créateur de jeux de société

La semaine dernière, dans le cadre de ses rencontres virtuelles, l’ATO a reçu la visite de Benoît Miclotte. Suite à un étrange concours de circonstances, Benoît s’est mis à créer des jeux de société. L’un de ses projets, La Guerre des Coins, a même été commercialisé par un éditeur sous le nom Arkans.

citation Benoît Miclotte 2021 05 19C’est l’histoire de deux amis qui jouent ensemble mais les règles du jeu ne leur conviennent pas. Adaptons un peu, se disent-ils. Et c’est le début d’un formidable engrenage ! Car après avoir bidouillé sur des détails, les deux comparses vont s’attaquer aux règles de base… jusqu’à créer un jeu complètement original. Ce sera le premier d’une belle série. Voici le passionnant récit que Benoît Miclotte (l’un des deux jeunes en question) est venu nous retracer l’autre soir.

Benoît, d’une certaine manière, ta passion s’est jouée sur un coup de dé…

Il y a un peu de ça. J’ai toujours été attiré par l’heroic fantasy. Avec un ami, on s’adonnait à des jeux qui nous plongeaient dans cet univers-là. On lançait les dés pour combattre des monstres, lancer des boules de feu, vaincre des sortilèges... Or, les dés, si vous avez de la chance, vous gagnez ; si vous n’en avez pas, vous perdez ; moi, j’avais tendance à avoir beaucoup de chance et mon ami nettement moins. La frustration s’installait. On s’est mis d’accord pour changer deux ou trois règles afin de limiter la part de hasard. Et puis, on s’est dit : « Tant qu’à revoir les règles, allons-y franchement, inventons quelque chose de nouveau. » Et c’est ainsi que nous avons créé un premier jeu intitulé Instance. D’autres amis sont venus jouer avec nous et ça leur plaisait aussi.

jeu prototype InstanceAlors, l’idée de le faire éditer vous est venue…

Les éditeurs n’ont pas sauté de joie. C’était il y a quinze ans. Notre projet nécessitait un tas de figurines et à l’époque, toute la machinerie de production n’existait pas encore. Les éditeurs trouvaient ça trop compliqué. Ils nous ont conseillé de créer un jeu plus simple. Moi, je faisais la navette tous les jours pour aller travailler à Bruxelles et j’ai commencé à plancher sur un jeu qui serait adapté au trajet en train. C’est ainsi qu’est née la première maquette du jeu qui allait devenir La Guerre des Coins. J’ai présenté le jeu à des amis. Ça marchait bien. Quand on m’invitait à une soirée, on me disait : « Amène ton jeu, qu’on refasse une partie. » 

Quel était le thème de La Guerre des Coins ?

Au départ, j’étais parti sur les vikings parce que c’est une culture qui me passionne. Ça collait bien avec mon plateau de jeu. Mais je me suis heurté à un obstacle que je n’avais pas prévu parce qu’à l’époque, beaucoup de gens avaient un apriori négatif : les vikings, ce n’était pas du tout vendeur. Alors, j’ai revu l’habillage et c’est devenu La Guerre des Coins, qui était basé sur les quatre éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu. Les règles n’avaient pas changé mais j’avais simplement revu l’habillage graphique. Et à partir de ce moment-là, le jeu a reçu un accueil bien meilleur.

tableau Guerre des Coins au 1er soirComment le public a-t-il commencé à s’intéresser à ton jeu ?

Lors d’une édition du salon Trolls et Légendes (à Mons-Expo à Mons), je suis venu avec un grand tableau. Je donnais des Post-It à ceux qui venaient jouer à La Guerre des Coins, je leur disais : « Notez ce que vous en pensez. Vous écrivez ce que vous voulez et puis, vous allez coller votre Post-It sur le tableau. » Dès la fin de la première journée, le tableau était couvert de commentaires positifs et marrants. Ça attisait la curiosité des gens qui passaient devant, ils étaient intrigués et ils venaient eux aussi découvrir le jeu.

Après La Guerre des Coins, tu as créé d’autres jeux ?

Oui, notamment La Cour de Récré. Dans ce jeu, tous les joueurs retournent à l’école primaire pour faire un maximum de bêtises et faire accuser les autres. Celui qui se fait attraper le plus souvent doit s’acquitter d’un gage que l’ensemble des joueurs déterminent en début de partie. Je me souviens d’une dame déjà assez âgée qui avait décidé : « Celui qui perd, il monte sur la table et il crie : J’ai perdu ! » Les autres joueurs ont marqué leur accord. À la fin de la partie, c’est la dame qui a grimpé sur la table. Ça ne s’oublie pas ! La Cour de Récré, ça rassemble toute la famille. Pour les enfants, c’est l’occasion de demander à leurs parents : « Et vous, quand vous étiez à l’école, vous faisiez quel genre de bêtises ? » 

La Cour de Récré Benoît MiclotteLa création de jeux de société, c’est devenu une vraie passion pour toi…

Ce qui me plaît le plus quand je crée un jeu, ce n’est pas tant d’y jouer moi-même que de voir les joueurs passer un bon moment. C’est un peu comme au théâtre. Les comédiens ont du plaisir à jouer la pièce, bien sûr, mais ils ont aussi du plaisir à voir que les spectateurs s’amusent au spectacle. 

De nos jours, l’attrait pour les jeux de société n’a-t-il pas tendance à disparaître ?

Au contraire ! Depuis quelques années, il y a même un regain d’intérêt. On produit beaucoup de nouveaux jeux. Je crois que c’est une réaction à la multiplication des écrans et à l’invasion du multimédia : les parents veulent renouer le contact avec leurs enfants. Un contact qu’ils ont peut-être un peu perdu. 

D’autant plus dans le contexte de crise actuelle…

Oui. Les gens ont besoin de rire, de s’amuser, de sortir un peu de la grisaille. Quand on est confinés, il faut bien trouver quelque chose à faire. Alors, le jeu de société a vraiment toute sa place. L’offre a explosé, il y a une grande diversité de thèmes, de mécaniques de jeu, de modes d’interactions entre les joueurs… Tout le monde finit par trouver un jeu qui lui convient. 

La Guerre des Coins version vikingIl y a des gens qui disent : moi, j’ai trop de choses à faire, je n’ai pas le temps de jouer…

Il faut prendre le temps. D’une certaine manière, le jeu de société aide à ne pas vieillir. Cela permet de relativiser beaucoup de choses. On se rend compte qu’on se tourmente parfois pour des broutilles. Jouer, c’est l’occasion de relâcher les soupapes. Et c’est étonnant comme la nature profonde des gens se dévoile à travers le jeu.

Le jeu, c’est aussi un moyen d’apprendre plein de choses…

Tout à fait. Des profs se sont intéressés à La Guerre des Coins parce qu’ils trouvaient que c’était un bon outil pour dédramatiser un peu les mathématiques. Moi, je n’y avais jamais pensé mais j’aime cette idée que le jeu de société permette d’aborder en s’amusant des apprentissages perçus comme difficiles.

En fin de compte, comment vois-tu l’évolution du jeu dans le monde de demain ?

Je suis certain que le jeu de société a encore un bel avenir devant lui parce qu’il rassemble les générations. Aujourd’hui, les enfants jouent avec leurs parents, mais aussi avec leurs grands-parents. Je crois qu’il y aura de plus en plus de liens intergénérationnels. Et le monde ne s’en portera que mieux.

Propos recueillis par Jérémie Brasseur

Benoît Miclotte présente son jeu Arkans (La Guerre des Coins) en vidéo (4 min 14) : https://www.jeuxdenim.be/news-2762