rencontre - Roland Thibeau
- Par brasseur-vansnick
- Le 22/05/2019
- Dans infos
« Pensez à John Wayne ! »
Rencontre avec Roland Thibeau
Le 25 avril dernier, dans le cadre de la préparation du spectacle Parc Montines, l’Atelier Théâtre des Oiseaux a bénéficié d’un coaching assuré par Roland Thibeau, auteur, metteur en scène, comédien. Avec son épouse Annie Rak, Roland Thibeau a fondé la Roulotte théâtrale dans les années septante. En outre, il a été aux commandes de la plupart des éditions de Mons Passé Présent (festival de théâtre en rue). Roland Thibeau nous a parlé de la vie en coulisse, de la ‘paresse du comédien’, de sorties de scène réussies, de la gestion des trous de mémoire… et de bien d’autres choses encore. Un coaching chaleureux et détendu auquel ont participé une vingtaine de comédiens.
Roland Thibeau, quand vous êtes-vous lancé dans l’aventure de la Roulotte théâtrale ?
La Roulotte théâtrale, ça date de mes études : j’étais à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD), qui était alors installé sur le site de Leuven. Des étudiants en droit voulaient monter une pièce de théâtre, ils sont venus demander si un étudiant en mise en scène pourrait les aider dans leur projet. Ce fut moi. Dans la troupe, il y avait une jeune juriste en herbe, Annie Rak. Nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes aimés, nous avons continué à faire du théâtre ensemble en créant la Roulotte théâtrale. Un peu plus tard, on a émigré à Mons. A l’époque, il y avait un mouvement intéressant au sein de la Maison de la Culture (qui n’existe plus aujourd’hui). Grâce à cela, j’ai créé La salle des profs de Liliane Wouters. Quand ma grand-mère est décédée, elle m’a laissé une grange à Élouges (Dour). Je me suis dit : « Un lieu pareil, c’est un trésor. » (On sait les difficultés qu’on rencontre pour s’installer quelque part, répéter et créer un spectacle.) De là est venue l’idée d’aménager la grange en salle de répétition ; de fil en aiguille, c’est devenu le lieu qu’on connaît aujourd’hui.
La Roulotte théâtrale, c’est un vaste projet géré avec votre épouse Annie Rak et votre fils Stefan Thibeau : ça soude la famille ?
Ça crée surtout des conflits extraordinaires ! On n’est pas toujours d’accord. Assez curieusement pour des gens qui vivent depuis longtemps ensemble, on est tous les trois très indépendants. On a des aventures artistiques éclatées. Annie a toute une carrière à la RTBF où elle a défendu les auteurs. Elle s’est intéressée aux langues dialectales au point de déteindre sur moi, de me faire retrouver mes racines ; je me suis mis à écrire en borain. Quant à Stefan, il a un regard plus révolutionnaire, il s’intéresse à des auteurs sulfureux comme Marcel Moreau ou Achille Chavée.
Quels sont vos projets actuels ?
Je prépare pour la saison prochaine un vaudeville qui se passe dans un centre culturel régional. Cela raconte les déboires d’une directrice un peu nymphomane en butte avec les exigences d’un échevin alors qu’elle a une saison à boucler…
Quelle vision avez-vous du théâtre amateur ?
Je trouve que le théâtre amateur a vocation à devenir professionnel, au moins par l’envie de travail, de perfectionnement, de structuration qu’il y a dans les groupes. Bien sûr, il y aura toujours une différence puisque le professionnel, lui, gagne sa vie en faisant du théâtre : ça l’amène à faire parfois mieux, parfois moins bien…
Vous avez acquis une bonne expérience du théâtre de rue à l’occasion des festivals Mons Passé Présent. Quel est le secret pour avoir une voix qui porte ?
Quand j’étais à l’IAD, j’ai rencontré Armand Gatti, c’était un écrivain révolutionnaire. Il avait décidé de n’évaluer personne, il a dit : « Moi, je vais faire un grand projet avec les étudiants. » Il a monté La Colonne Durruti dans une immense bâtisse à l’abandon, les anciennes usines Rasquinet à Bruxelles. Là-dedans, il a voulu représenter la guerre d’Espagne. Alors là, il fallait gueuler ! Gatti nous a expliqué que la puissance vocale vient de la conviction. En théâtre de rue, il faut que la conviction fasse sortir la voix.
Avec l’arrivée des nouveaux médias, le théâtre professionnel évolue. On introduit de plus en plus de vidéo dans les spectacles. Qu’est-ce que vous pensez de cela ?
C’est très dangereux. Je n’y suis pas hostile, j’ai même participé à un projet où le comédien dialoguait avec son image, il rentrait dans la vidéo... Il ne faut pas se priver de ce que la modernité offre, mais il ne faut pas en être victime. Pour moi c’est le sens qui prime. Si le sens demande de la vidéo, pourquoi pas. Mais si c’est le moyen qui invente le sens, là, je crie : casse-cou ! Or, je vois aujourd’hui beaucoup de spectacles qui misent tout sur l’effet waouh !... Mais waouh ! et puis quoi ? Pour le moment, le public semble s’y laisser prendre… C’est la même chose dans les musées avec les scénographies. Je n’ai pas besoin de mille et une mises en espace. J’ai juste envie de voir l’œuvre. Je suis plutôt vieille garde à ce niveau-là !
Quels sont les auteurs dramatiques qui vous ont marqué ?
Quand je suis arrivé à l’IAD, on m’a posé la même question et j’ai répondu : « Sacha Guitry. » Tout le monde s’est moqué de moi parce qu’on considère que c’est ringard. Du coup, je suis devenu un grand défenseur de Guitry. Peut-être qu’on ne le joue plus beaucoup au théâtre mais au cinéma on redécouvre son œuvre : il a réalisé beaucoup de films ; Le Roman d'un tricheur, par exemple, c’est un monument. C’est pour ça que je le cite, parce que ça me rappelle toujours les sarcasmes de mes professeurs. J’ai aussi envie de citer Peter Weiss. Il a écrit une pièce qui s’appelle Marat-Sade (ou La Persécution et l'Assassinat de Jean-Paul Marat représentés par le groupe théâtral de l'hospice de Charenton sous la direction de Monsieur de Sade). L’auteur imagine le marquis de Sade, à l’asile, qui fait jouer aux fous la Révolution française. Son texte met en regard le discours anarchiste de Sade et le discours de Marat qui, sous un idéalisme effrayant, est plus monstrueux que celui de Sade.
Quelle recommandation nous conseillez-vous de garder en tête au moment de monter sur scène ?
Dans une autre vie, avant de faire du théâtre, j’ai voulu être prêtre et je suis allé au séminaire. J’ai participé à un stage à l’abbaye de Maredsous pour apprendre à lire les textes sacrés à la messe. Un professeur est venu nous donner des cours, c’était Robert Delieu (plus tard, je lui ai succédé à l’IHECS). Imaginez-vous tous ces jeunes apprentis curés, aux mains moites et à l’acné. Delieu arrive et dit : « L’Evangile c’est un texte comme un autre ; pour dire l’Evangile, dites le texte en essayant d’être relaxés. » Et sa méthode à lui pour être relaxé, c’était de penser à un personnage qui, à vos yeux, incarne la confiance en soi. « On va essayer de penser à John Wayne ! »… Eh bien, pour moi, quand je me suis retrouvé derrière le lutrin, ça prenait sens.
Propos recueillis par Jérémie Brasseur