sketch - Seize ans
- Par brasseur-vansnick
- Le 29/01/2016
- Dans dialogues
Dialogue librement inspiré du fait divers "Pennsylvanie (USA) - Un avion vide ses toilettes au-dessus de la fête d'anniversaire" (metronews.fr / 21-05-2015). Sketch produit dans le cadre de l'atelier Ecriture théâtrale organisé par Le Théâtre de l'Éveil et animé par la comédienne professionnelle Sarah Brahy, de septembre à décembre 2015 à La Fabrique de Théâtre (La Bouverie).
Prologue
Une radio, à l’heure du bulletin d’informations.
Le journaliste. – Après-midi cauchemardesque en Pennsylvanie : quarante personnes étaient rassemblées dimanche dans un jardin privé de Levittown ; Jessica, qui fêtait ses 16 ans, avait souhaité réunir ses amis pour souffler ses bougies. Mais la fête a été de courte durée.
La victime sous le choc. – Nous allions couper le gâteau et soudain c’est tombé du ciel : un truc brun dégoûtant, il y en avait partout !
Le journaliste. – Cinq avions survolaient le jardin à l’heure du drame. La famille de Jessica pense que l’un d’eux n’a pas hésité à vider ses toilettes au-dessus de leurs têtes. L’Administration Fédérale de l’Aviation a ouvert une enquête.
Le présentateur / Le journaliste. – Et c’est la fin de cette édition. Merci de nous avoir suivis ; bon appétit si vous passez à table.
Scène I / Trois jours plus tôt
Dans la chambre à coucher de Joe et Dolorès.
Dolorès. – On est dans le mur !
Joe. – Jason s’occupe du gâteau : il a trouvé une pièce montée cranberry et beurre de cacahuète, comme veut la petite. Linda va accrocher les seize bouquets de roses rouges aux arcades du perron. Taylor amène la sono.
Dolorès. – Et les chevaux, on a des nouvelles pour les chevaux ?
Joe. – Pour l’instant, on n’en a que dix.
Dolorès. – Mais Jessica en veut seize.
Joe. – Je sais, je sais. Je fais mon possible mais c’est pas facile. Après tout, dix chevaux blancs, c’est déjà pas mal !
Dolorès. – Elle va avoir seize ans, Joe. Seize ans ! Toi évidemment tu ne peux pas savoir ce que c’est.
Joe. – Je ne peux pas savoir… Comment ça ?
Dolorès. – Parce que tu es un homme. Mais une femme c’est pas pareil. On est belle, on est Américaine : on veut être la reine du bal, c’est naturel. Alors, excuse-moi Joe mais s’il faut seize chevaux blancs pour faire le bonheur de Jessy le jour de sa garden-party c’est notre devoir de remuer ciel et terre…
Joe. – Okay, j’ai compris. J’essaierai de voir avec Bill. Je l’ai bien dépanné pour le baby shower de sa gamine, il peut bien faire ça pour moi.
Dolorès. – Et pour le jardin ?
Joe. – Quoi encore ?
Dolorès. – Quand est-ce que tu vas passer la tondeuse ?
Joe. – Mais… j’ai tondu vendredi passé !
Dolorès. – Oui mais ça commence à repousser. Regarde, on voit des touffes partout.
Joe. – Va au diable avec tes touffes !
Dolorès. – Espèce d’égoïste ! ta fille, ta propre fille, celle que tu prétends aimer par-dessus tout…
Joe. – Eh bien, quoi, ma fille ? Elle n’est pas à l’article de la mort, hein…
Dolorès. – Elle va avoir seize ans. Joe. Je te signale qu’on ne vit pas au fin fond de la brousse : on vit en Pennsylvanie. Et une fille qui va avoir seize ans en Pennsylvanie ça a des besoins.
Joe. – Ah oui ?
Dolorès. – L’anniversaire de ses seize ans, elle doit pouvoir dire que la vie est merveilleuse, que c’est le plus beau jour de sa vie. Je ne veux pas qu’elle ait à rougir devant ses copines parce qu’elle aura dû se contenter d’une fête minable dans une espèce de terrain vague.
Joe. – Une espèce de terrain vague ? C’est de mon jardin que tu parles ?
Dolorès. – Oh, Joe… Joe ! Sois un bon mari, sois un bon père, sois un bon Américain : va et tonds-le, ce putain de jardin.
Joe, après un soupir. – Tu as raison, Dolly. Je suis fier d’être Américain et de pouvoir tondre mon putain de jardin. Ma fille va avoir seize ans : qu’un tapis de soie porte ses pas et qu’une pluie de pétales de roses s’épanche sur sa blonde chevelure.
Scène II / Deux minutes avant l’impact
Dans le jardin familial. Jessica (16 ans !) et son amie Pamela.
Pamela. – Ah, j’adore, ma chérie ! j’adore ta robe… Et ton collier ! c’est des vrais diamants ?
Jessica. – Ouais, cent pour cent !… Ça fait pas trop… ?
Pamela. – Mais non, ma chérie, tu plaisantes ! Tu es ma–gni–fique. Et toutes ces fleurs… Et ces chevaux blancs, je dis carrément Ouah !
Jessica. – Bah, les chevaux en fait, je voulais des tresses colorées dans leurs crinières, genre My Little Pony, tu vois. C’est mon vieux qui n’a pas capté l’essence du truc.
Pamela. – Attends, ton père il est trop mortellement cool !
Jessica. – Ah ouais ? Tu ne l’as pas vu tout à l’heure avec Tiffany. Comme il m’a mis la honte quand il lui a demandé où était sa mère. J’en peux trop plus de ce type. (Sanglot.)
Pamela. – Pleure pas, poulette. Tu vas ruiner ton mascara.
Jessica. – Dis pas ça : deux heures, j’ai passées à me maquiller. Avec mon crétin de père qui tambourinait à la porte pour entrer dans la salle de bains. J’ai cru que j’allais devenir dingue.
Pamela. – Respire à fond, Jessy, tout est sous contrôle, là… On devrait aller dire bonjour à Monica, elle vient d’arriver.
Jessica. – Monica ? Attends, je sais même pas pourquoi je l’ai invitée. Je peux plus la sentir, cette dinde ! Si elle me postillonne dessus ne serait-ce qu’encore une fois, je lui arrache les yeux.
Pamela. – Je comprends mais fais un effort, je t’en prie : rappelle-toi que sa sœur est capitaine des pom-pom girls.
Jessica. – Oh, c’est vrai ! quel cauchemar. Bon, on y va. (Gros soupir.) Ah, Pamela… Avoir seize ans, je te jure, ça craint !
Pamela. – Je sais, ma cocotte, je sais. Tu dois prendre beaucoup sur toi… Mais regarde, ta fête est démentielle. C’est une journée splendide : sûr qu’elle va rester dans les annales.
Noir. Puis, tout à coup, hurlements hystériques dignes d’une apocalypse.
Jérémie Brasseur, 7 novembre 2015