sketch - Chez mère-grand

 

Mère-grand ouvre la porte. C’est le loup avec, derrière le dos, une corbeille de fruit et de fleurs.

MÈRE-GRAND. – Allez, encore une fois, chevillette cherra et chopinette suivra ! (Le loup entre.) Mais ce n’est pas vrai. Grand méchant loup, ce n’est pas le moment où vous devez entrer en scène. Je suis occupée.

LE LOUP. – Non mère-grand, ce n’est pas l’heure et ce ne sera plus jamais l’heure : j’ai changé, je vais laisser à d’autres le soin de croquer votre délicieuse chair. Moi maintenant, je ne veux que votre cœur. (Il présente la corbeille.) Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous... (Se tournant vers le public :) J’ai entendu cela quelque part, je sais plus où, mais ce n’est pas du Charles Perrault.

MÈRE-GRAND. – Si je comprends bien, vous aussi, vous avez votre palpitant en émoi. C’est ça ?

LE LOUP. – Oh oui, mon amour ! Vous savez, j’ai bien changé, comme tous les personnages de l’oncle Charles, il paraît. Je ne veux plus être abominable, même pas minable du tout. Non, je veux vous aimer, point barre, à la ligne et c’est tout.

MÈRE-GRAND, vers le public. – Ma petite-fille me l’avait dit : nous allons tous changer. Marre de toujours jouer les mêmes rôles depuis passé trois cents ans ! Et voilà, paf ! (Au loup.) Grand loup, je suis flatulée... Pardon : flattée que vous m’offriez votre cœur en cendres, mais je n’ai pas le temps d’écouter vos simagrées. Je dois me débarrasser de vous et de l’autre éperdu qui se trouve derrière la tenture.

LE LOUP. – Comment ? Il y a ici quelqu'un qui m’a devancé. Et en plus, il se cache comme une lopette !

On voit un rideau qui tremble. Le prince charmant, caché derrière, a peur. Il passe un bras et attrape la chope de bière qui est à sa portée, il boit pour se donner du courage.

LE LOUP. – Sortez de là si vous êtes un homme.

Le prince charmant sort en tremblant.

LE LOUP. – Oh, le prince charmant... (Il rit.) Que vous êtes mignon, que vous me semblez beau...

LE PRINCE CHARMANT. – j’étais là avant vous. J’étais le premier.

MÈRE-GRAND, interrompant et offusquée. – Non, pas le premier, il y en a eu d’autres avant quand même !

LE LOUP. – Vous voyez, vous importunez mère-grand. Retournez voir votre dormeuse.

LE PRINCE CHARMANT. – La belle, elle ne m’intéresse plus, elle ronfle exprès à mon approche... Elle en préfère sûrement un autre.

LE LOUP. – Mère-grand, débarrassez-nous de ce personnage qui pue le parfum à cent lieues... Non, maintenant on dit: des kilomètres. Merde ! faudra m’y faire... Cent kilomètres à la ronde !

MÈRE-GRAND. – Comment ? Je suis chez moi. C’est moi qui décide qui mettre à la porte. Et pas vous, ni l’autre éperdu d’amour. D’ailleurs, vous allez tous les deux prendre vos cliques et vos claques avant que moi, je vous claque. (Elle prend un balai et met en fuite les deux personnages.) Et quand je claque, je claque !

texte d'Yvan Dedieu [extrait] - janvier 2016

 

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