Petits défauts, trois fois rien
- Par brasseur-vansnick
- Le 26/07/2020
- Dans dialogues
Petits défauts, trois fois rien !
Maison à Vendre
Madame. – Bonjour, nous sommes le rendez-vous de dix-sept heures.
Le vendeur. – Je vous attendais. Entrez donc… Voilà d’emblée le hall d’entrée. Très beau couloir, très large, très aéré.
Monsieur. – Excusez-moi, mais votre hall d’entrée n’a qu’un mur. Ce n’est même pas un couloir.
Le vendeur. – Mais c’est moderne, c’est un peu loft. On ne s’embarrasse plus de mur inutile à l’heure actuelle. C’est beaucoup plus lumineux.
Madame. – Mais oui, chéri, laissons Monsieur ImmoChance nous montrer la suite.
Le vendeur. – Eh bien, justement, pas de mur et pas de porte ! Vous avez sur votre droite le living… 18 m de long, 5 m de large à rue.
Monsieur, ironique. – Pas de porte, pas de murs. Pour peindre et tapisser, ça fait moins de boulot.
Le vendeur. – Je sens que la maison commence à vous plaire ! Vous avez au bout de ce très spacieux triangle une small kitchen équipée.
Monsieur. – C’est ça que vous appelez une cuisine équipée ? Pas de frigo, pas de lave-vaisselle, un évier troué et un robinet sans eau chaude.
Le vendeur. – Tout de suite les critiques ! Les gens qui vivaient ici avaient huit enfants et ils étaient très heureux ! Des gens très débrouillards. (À mi-voix.) Jusqu’à ce que...
Monsieur. – Avant d’aller plus loin… le chauffage ? Je ne vois pas de radiateur.
Le vendeur. – Un poêle à pellets, là-bas devant la baie vitrée pour couper le froid en hiver. Ça chauffe toute la maison. Astucieux, non ? Très débrouillard, l’ancien propriétaire. Très débrouillard !... Mais je vois que madame a trouvé la salle de bains. Vous avez, là dans le coin, une baignoire sabot et une splendide douche délicatement ocrée. Magnifique, n’est-ce-pas ?
Madame. – Délicatement ocrée : c’est de la crasse.
Le vendeur. – Un petit coup de serpillère et Monsieur Propre fera le reste !
Madame. – Et la fenêtre donne sur la cuisine du voisin ?
Le vendeur. – Oui. Des gens très sympathiques. Voyez, ils vous font signe. Souriez : c’est important, les relations de bon voisinage.
Monsieur. – On pourrait carrément les embrasser : leur fenêtre est à un mètre à tout casser ! Ce n’est plus de la promiscuité là, c’est de la cohabitation !
Le vendeur. – Monsieur plaisante ! J’aime ça : ça détend l’atmosphère. La maison commence à vous plaire. Si, si. Ça se voit.
Madame. – D’où vient ce courant d’air qui me glace le dos ?
Le vendeur. – La baie vitrée n’a plus de carreau. C’est dû à une fissure sur le pignon : le vent s’est engouffré et a fait éclater la vitre. Mais c’est trois fois rien. Ce serait encore l’ancien propriétaire… ah çà ! un type très débrouillard ! (À mi-voix.) Enfin, jusqu’à ce que...
Madame. – Dis, Gérard, je viens de voir le garage. Il fait à peine deux mètres de long. Le coffre de la voiture sera sur la rue. Je crois qu’il vaut mieux arrêter la visite.
Le vendeur. – Et puis, vous avez une très belle cave, bien aérée.
Monsieur. – Tu m'étonnes ! il y a des trous partout. Oui, je sais : le propriétaire était très débrouillard. Mais jusqu’à ce que... quoi, à la fin ?
Le vendeur. – Eh bien, jusqu’à qu’on le fasse interner, avec sa femme et ses huit enfants.
Monsieur. – Tous ensemble ?
Le vendeur. – Oui, ils se sont mis à voir des spectres partout dans la maison.
Madame. – Quelle horreur !
Le vendeur. – Mais le bâtiment reste une très bonne affaire. À saisir immédiatement.
Madame. – Et vous, vous les avez vus ?
Le vendeur. – Qui ?
Madame. – Les spectres.
Le vendeur éclate de rire. – Mais, madame… je suis leur chef !
Madame. – Gérard, j’ai peur !... Gérard ? Où es-tu ?
(Gérard s'est évanoui.)
Joseph Cau, janvier 2020