Un chemin de croix

Un chemin de croix

Le week-end des 12 et 13 septembre 2020 se sont tenues les Journées du Patrimoine en Wallonie. L’occasion pour l’Atelier Théâtre des Oiseaux d’aller découvrir le fabuleux chemin de croix en pâte à modeler de la chapelle du Malgré Tout. (Dialogue de Jérémie Brasseur, avec la contribution de Sébastien Lambert et Michèle Rouhart.)

 

Sebastien lambert septembre 2020Un camelot amène sa malle de trucs à vendre. – Bonjour, la foule. Tant que vous êtes là à poireauter, j’ai tout ce qu’il faut pour votre bonheur… Monsieur, je vois que vous avez une tête de pêcheur. Oui, ça se voit que vous avez beaucoup péché dans votre vie. (Il sort un poisson de sa malle.) Ça vous dit pas, mon petit anchois ? Il est frais du jour. Enfin, il a été frais du jour… il y a quelques jours… 45 euros les cent grammes. J’ai aussi du fromage au lait de caniche.

La guide. – Mesdames et Messieurs, approchez, s’il vous plaît.

Une dame arrive en traînant derrière elle un sac visiblement très lourd. – Excusez-moi, je cherche le chemin de point de croix. D’ordinaire, je fais plutôt dans le crochet, mais je me suis dit : ce coup-ci, on va faire un p’tit bout de chemin de point de croix.

La guide. – Merci d’être venus à l’occasion des Journées du Patrimoine. Bienvenue à la chapelle Notre-Dame du Malgré Tout, vous allez découvrir un chemin de croix très particulier, puisqu’entièrement réalisé en pâte à modeler. Ce qui apporte au récit biblique une touche plus guillerette : y a un petit côté La Mort de Jésus au Pays de Wallace et Gromit. Vous avez ici la première station. « Jésus est condamné à être crucifié. » Jésus, c’est le petit bonhomme bleu qui rigole.

Le camelot, à une personne du public. – Pardon, je vois que ça vous parle, Jésus qui est condamné. Je parie que ça vous connaît, les tribunaux de Justice. On sait ce que c’est : détournement de fonds, braquage à main armée, prostitution, séquestration et crime contre l’humanité… On est tous passés par là. (Il sort un livre de sa malle.) C’est votre jour de chance : j’ai ici un petit abécédaire du Code pénal… Bon, c’est en russe. Mais vous trouverez facilement quelqu’un pour traduire…

La guide. – La deuxième station du chemin de croix est en réparation : y a un bidule qu’on doit rafistoler. Je vous invite à vous déplacer directement vers la troisième station.

La dame, se déplace et trébuche. – Aïe !

La guide. – « Jésus tombe pour la première fois sous le poids de la croix. »

La dame. – Ah ben, y a pas que lui. C’est pavé ici comme dans la Rampe Sainte-Waudru. Je me suis troué la robe, moi. C’est du propre ! Je vais pas pouvoir ravoir ça, moi. Même au crochet. Si j’avais su, je serais venue en salopette. (Jetant un regard mauvais à la station du chemin de croix.) Tout ça pour voir un Schtroumpf qui trimbale son échelle ! Il ferait mieux de se mettre à la couture, le giambo : les gros travaux, c’est pas fait pour lui.

La guide. – J’oubliais de vous prévenir : faites attention, le sol est piégeux.

Le camelot. – En cas de besoin, j’ai du mercurochrome… 12 euros du litre. (Il sort de sa malle une grosse bouteille remplie d’un liquide bordeaux.) Je peux aussi fournir en bandages, vaccins, cataplasmes. En cas d’achat groupé, je fais les suppositoires gratuits.

La guide. – Quatrième station : « Jésus rencontre sa mère. » On reconnaît bien la vierge Marie à droite. Enfin, on suppose que c’est elle… Oui, elle a des grandes oreilles. Mais comme dit l’Evangile, c’est pour mieux vous entendre, mon enfant.​

La dame. – Elle a pas l’air commode, la mère du petit. Si c’est elle qui lui apprend le point de croix, ça doit pas être une partie de plaisir. Moi quand maman m’a fait faire mes débuts au crochet, fallait pas crocheter de travers. Je me revois encore, gamine, sous la menace d’une torgnole qui plane jamais loin. Je vous prie de croire que faire son crochet avec les doigts qui tremblent, ça tient de l’exploit !

La guide. – Et là, c’est la cinquième station. « Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix. » Vous noterez que Simon a amené sa petite brouette. Un peu d’esprit pratique, ça aide.

Le camelot sort de sa malle un sac pastique avec un fatras de petites pièces. – Pour les petits déménagements, j’ai un chariot élévateur… à monter soi-même. Là, c’est en modèle réduit. Mais une fois que vous l’avez fait en miniature, vous prenez des planches, des clous, des trucs qui traînent : y a toujours moyen d’adapter les dimensions. Monsieur, je vous sens intéressé. Je vous fais le lot à 200… Bon, allez… 190. Parce que c’est vous. Et parce qu’il manque sans doute deux, trois vis.

La guide. – La sixième station, « Sainte Véronique essuie le visage de Jésus ».

La dame. – Ben, mon vieux ! moi, je n’ai pas besoin que la voisine vienne me moucher le nez. Ça, c’est bien les jeunes d’aujourd’hui. Dire qu’il y a pas loin, les fillettes, à cinq ans, elle vous cousaient des napperons en dentelle, que ça faisait tout à fait correct sur le buffet du salon !

La guide. – Pour le voile de Véronique, l’artiste s’est sans doute inspiré des serviettes chaudes qu’on a parfois en fin de repas au resto chinois.

Le camelot. – À propos, je fais aussi dans la lingette démaquillante. 9 euros la douzaine. (Il sort de sa malle des bouts de ouate.) Monsieur, un cadeau pour votre dame… quand elle a son rimmel qui coule. C’est comme ça qu’on gagne une réputation de parfait gentilhomme.

La guide. – Je vous invite à passer de l’autre côté pour la septième station...

La dame, se déplace et trébuche. – Aïe !

La guide. – « Jésus tombe pour la deuxième fois. »

La dame. – Ah ben non, alors ! ça devient répétitif, cette affaire. Moi, je ne reste pas. Je préfère aller au Silex’s de Spiennes : y a rien grand-chose à voir mais au moins tout est bien sécurisé : pas un gravier qui dépasse ! (Elle part.)

La guide. – J’oubliais de rappeler : attention au sol, hein !

Le camelot, sortant à la suite de la dame. – Madame ! J’entends que vous aimez la belle caillasse. Attendez de voir ce que j’ai en stock. Du caillou de Quaregnon, du caillou de Quévy, du caillou de Cuesmes, du gravillon dur, du gravillon mou,…

La guide. – Bon, sinon… quelqu’un veut voir ma huitième station ou bien… ? Personne ?

septembre 2020