Pool-Party - création théâtrale

Pool-Party dans la Marne

 

Restons créatifs cet été. À partir d'un fait divers, les comédiens de l'ATO ont improvisé des saynètes racontant les péripéties d'un nageur à la dérive. (écriture : Jérémie Brasseur)

 

INTRODUTION Pool-Party dans la Marne

Lundi 25 mai, 7h30

L’animateur-radio et le chroniqueur, dans leur studio vers la fin du bulletin d’information

L’animateur de France Bleu Champagne Ardenne. – … Et puis, ce drame social la nuit dernière en Châlons-en-Champagne…

Le chroniqueur. – Oui, Boris. Il était près de 23 heures lorsque les forces de l’ordre sont intervenues au quatrième étage d’un immeuble à Saint-Memmie.

L’animateur. – Une petite commune pourtant sans histoire !

Le chroniqueur. – En effet, Boris. La Police explique avoir reçu un coup de fil désemparé de la part d’un couple résidant au troisième étage de l’immeuble. Ce couple avait constaté des infiltrations d’eau au niveau de leur plafond.

L’animateur. – Et dites-nous, mon cher Bernard : la vaillante Police châlonnaise a-t-elle pu venir à bout de cette intrusion aquatique ?

Le chroniqueur. – Eh bien, il s’est avéré que les voisins du dessus, deux jeunes colocataires, s’étaient bricolé une piscine au beau milieu du séjour en vue de faire la fête. Une ‘Pool-Party’ à laquelle ils avaient même conviés quelques amis.

L’animateur. – Une initiative conviviale, certes ! mais discutable quand on loge au quatrième.

Le chroniqueur. – Je vous l’accorde. Plusieurs invités ont pris la poudre d’escampette à l’arrivée de la police.

L’animateur. – Merci, Bernard. Ajoutons que les pompiers ont été mobilisés pour vider la piscine – une piscine de trois mètres de long – car les tonnes d’eau menaçaient la stabilité du bâtiment.

(d’après un fait divers publié par France TV Info, le 25 mai 2020)

 

POOL PARTY : Un nageur au bord du suicide

Samedi 16 mai, neuf jours plus tôt

Thibaut et Nathan, les deux colocataires, dans leur appartement

Nathan. – Bon Dieu, Thibaut, qu’est-ce que tu fous avec la tête là-dedans ?!

Thibaut. – J’en peux plus, Nathan ! Tu m’entends ? J’en peux plus. Pardonne-moi : ferme la porte en sortant, j’allume le gaz.

Nathan. – Arrête tes conneries, Thibaut : t’es dans la machine à laver, là !... Écoute ! après ton suicide médicamenteux, t’avais promis d’arrêter. Quand même ! t’as avalé trois cents grammes de laxatif et t’es toujours là. C'est un signe, merde ! T’as pas encore compris ? T’es pas doué pour les suicides.

Thibaut. – C’est trop dur ; tu ne te rends pas compte ! Je viens juste de créer une technique de nage révolutionnaire : la brasse dorsale coulée-touchée. Et depuis ce foutu confinement, impossible d’aller à la piscine tester mon invention de génie !

Nathan. – Chiale pas, Thibaut ; s'il te plaît, chiale pas : tu vas réveiller Chousse-Mafouille et il va monter gueuler… Thibaut, écoute-moi... Ecoute-moi, vieux ! Je te promets que d’ici la fin du mois, je te trouve une solution. Tu vas nager, mon pote. Je ne sais pas encore comment mais je vais te rejeter à la flotte.

Thibaut. – Jure-le, Nathan ! Sur la tête de la petite Sirène.

Nathan. – Je te le jure… Et même sur les nageoires à Bubulle ! (En aparté.) Ô destin faquin ! Comment tenir pareille promesse ? Et comment pourrais-je ne pas la tenir ?... Eh bien, quoi qu’il en coûte, je suis homme de foi et je tiendrai parole.

 

POOL PARTY : Chez les parents

Samedi 23 mai, une semaine plus tard

Le couple Chignole, les parents de Nathan, dans leur lit conjugal

Monsieur. – Tiens, au fait, Nathan est passé cette après-midi à l’atelier…

Madame. – Ah bon ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Qu’est-ce qu’il raconte ?

Monsieur. – Il venait emprunter deux, trois bricoles : des bâches, du Scotch, des palettes. Je crois qu’il monte une piscine.

Madame. – Une piscine ? Nathan ? Mais son appart’ est au quatrième ! Germain, qu’est-ce que tu racontes ?

Monsieur. – Oh, écoute ! J’en sais rien, moi.

Madame. – Enfin, c’est ton fils quand même ! Tu aurais pu lui demander... Et s’il allait faire une bêtise…

Monsieur. – Qu’est-ce que tu veux qu’il arrive ? Il bricole un peu : c’est pas une affaire qui va sortir dans la presse, hein. Allez, dors maintenant !

 

POOL PARTY : Le plan de Stinky

Dimanche 24 mai, 22h06

Noëlla et Stinky, deux invités à la Pool-Party, dans la cuisine de l’appartement

Noëlla. – Stinky, t’es pas encore en maillot ?!

Stinky. – Nan ! Moi, l’eau j’aime pas ça. Au début, même, je voulais pas venir…

Noëlla. – Ben oui, je comprends…

Stinky. – Quoi ! tu voulais pas que je vienne ?

Noëlla. – C’est pas ça mais bon… Qu’est-ce que tu vas faire si tu nages pas ?

Stinky. – Thibaut m’a dit : « Viens quand même; tu verras, ce sera comme d’aller à la mer… »

Noëlla. – Ah oui… Et quoi ?

Stinky. – J’ai amené mon seau, je vais ramasser les coquillages.

 

POOL PARTY : L’embuscade

Dimanche 24 mai, 22h58, une petite demi-heure plus tard

Bichon et Flanchard, deux policiers, dans le couloir de l’appartement

Bichon. – Alors, c’est quoi le plan ?

Flanchard. – Ben, je fous mon pied dans la porte ; on gueule ‘police !’, on pénètre ; et on neutralise tout ce qu’il y a à neutraliser. T’es prêt ?

Bichon. – Attends, je suis pas sûr. C’est quand qu’on gueule ? Avant ou après qu’on pénètre ?

Flanchard. – On s’en fout. On gueule et on débarque. Il est clair, le plan ; clair et net… Ton arme, elle est chargée ?

Bichon. – Quoi ?

Flanchard. – Bon sang, quelle bite, ce mec ! (Il lui gueule dans le nez.) Est-ce que ton arme est chargée ? C.H.A.R.J.É. : Chargée !

Bichon. – Bah ouais qu’elle est chargée… (À mi-voix.) Presque autant que ton haleine.

Flanchard. – Tu disais ?

Bichon. – Rien, rien.

 

POOL PARTY : Nageuses en cavale

Dimanche 24 mai, 23h07, à peine dix minutes plus tard

Vanilla et Sully, deux invitées de la Pool-Party, en maillots de bain sur les balcons de l’immeuble

Vanilla. – Sully, je te hais. Sans déconner, je crois que je vais te tuer. Je voulais pas venir à cette putain de fête. Je t’avais dit que ce coup-là, je le sentais pas.

Sully. – Mais arrête de râler, Vanilla. Regarde : le temps est super doux. Profite un peu ! Tu as vu toutes ces étoiles ? Y a la grande Ourse, là-bas.

Vanilla. – Je crois que tu ne te rends pas compte : on est à moitié à poil, on est trempées, on a les flics au cul !

Sully. – Le problème avec toi, c’est que tu vois toujours le verre à moitié vide.

Vanilla. – « Le verre » ? Quel verre, bordel ? Y avait même pas d’alcool. C’était la Pool-Party la plus pourrie de toutes les Pool-Parties de l’histoire. Comment est-ce qu’on va redescendre maintenant ?

Sully. – Passe-moi ta main, on va passer par la corniche. Tu me lâches pas, hein ! Promis ?

Vanilla. – Non, mais sérieux, Sully, tu charries. Arrête ! (Sully glisse, Vanilla lâche sa main et Sully chute de quatre étages ; son cri d’effroi s’éteint dans la nuit.) Eh, merde ! Sully ?!... Oh, oh ! Sully ?... Qu’est-ce que ça dit en bas ? La voie est libre ?

 

POOL PARTY : Blues de pompier

Lundi 25 mai, 00h16, une heure plus tard

Le pompier et Stinky (caché dans un coin), au bord de la piscine

Le pompier, dans son talkie-walkie. – Capitaine, pour vider la piscine, je fais comment ? J’ai pas le matos, moi… À vous !... Capitaine, vous m’entendez ?... À vous… (Il vérifie le talkie-walkie.) Shit ! plus de batterie.

Stinky, apparaissant. – Y en a pas, des coquillages !

Le pompier, surpris. – Hein !? D’où il sort, celui-là ?...  (À Stinky.) Qu’est-ce que vous foutez là, vous ?

Stinky. – J’étais sous l’évier, je comptais les cafards.

Le pompier. – Les cafards ? Mais pourquoi?

Stinky. – Parce que moi, l’eau, j’aime pas ça. Et puis, c’est pas comme la mer, ici. À la mer, les cafards c’est des moules.

Le pompier. – Écoutez, mon vieux : faut pas rester là. La dalle peut céder d’une minute à l’autre.

Stinky. – Ben… Et vous alors ?

Le pompier. – Moi, j’ai reçu des ordres : je dois vider cette foutue piscine. D’ailleurs, faut que je trouve un truc… (Il cherche.)

Stinky. – J’ai un seau.

Le pompier. – Ah ouais ! (Il lui prend le seau des mains.) Ben… réquisitionné, du coup !

 

POOL PARTY: Au bord de l’étang

Mercredi 3 juin, dix jours plus tard

Gilles (un ami de Thibaut) et le père Mouchaillon, dans un pré, au bord d’un étang

Mouchaillon. – Ça n’a l’air de rien parce que c’est vaseux, mais c’est profond, vous savez ? J’avais mis des bébés requins là-dedans.

Gilles. – Comment ça, des requins ?

Mouchaillon. – Là, il n’y en a plus, hein ! Je ne sais pas comment ça se fait, ils ont crevé. Ils ont dû choper un truc…

Gilles. – Tant mieux… Je veux dire : pour Thibaut c’est plus sécure.

Mouchaillon. – Oh, je dis pas… mais ça m’a fait de la peine. Je les avais appelés Sharky et Makron. Deux belles bêtes, vous auriez vu !

Gilles. – … En tous cas, c’est vraiment sympa de votre part de laisser Thibaut venir plonger : c’est super important pour lui. Rapport à la nouvelle nage qu’il met au point.

Mouchaillon. – Ah ouais : la brasse dorsale croquée, je-sais-pas-quoi… C’est beau, l’innovation !... Enfin, là, ça commence à faire un peu long, quand même.

Gilles. – Un quart d’heure, je dirais.

Mouchaillon. – Et votre copain, il est censé remonter un jour, ou bien… ?

(Un temps.)

Gilles. – Pour vos requins, vous êtes 100 % sûr, ou bien… ?

création théâtrale, juillet 2020