sketch - Geneviève vs Attila
- Par brasseur-vansnick
- Le 26/06/2015
- Dans dialogues
C’est l’été, la saison des best-of ! L’occasion de ressortir des cartons quelques sketches des temps jadis. Comme celui-ci, Geneviève vs Attila, créé à l’occasion du café-théâtre Ça c’est Paris (sous la direction de Roseline Hogne) le 15 mars 2008 au Café-Théâtre du G à Harveng, avec Jérémie Brasseur (le présentateur), Emmanuel Moonen (Attila) et Alexandra Woldag (sainte Geneviève).
Geneviève VS Attila
sketch de Jérémie Brasseur
Le présentateur. – Les livres d’histoire gardent le souvenir ému de sainte Geneviève et de la manière dont elle défendit la ville de Paris contre l’invasion des Huns. Mais toute cette littérature laissait profondément insatisfait le professeur Edmond Chousse-Mafouille. Dans les sous-sols de la Bibliothèque Nationale de France, loin à l’écart des vaines agitations du monde, il compulsait, Chousse-Mafouille. Il sondait de séculaires énigmes. Oh quelle allégresse fut la sienne, le jour où tomba entre ses mains palpitantes un vieil almanach parisien de l’an de grâce 451 ! Ce soir, nous sommes heureux de vous présenter l’une des pages les plus illustres de l’histoire de France : la confrontation entre sainte Geneviève, la patronne de Paris, et Attila, le roi des Huns. Notre reconstitution se veut un vibrant hommage aux travaux du regretté professeur Chousse-Mafouille. Il va sans dire que les faits sont ici restitués avec la précision historique la plus rigoureuse.
Attila entre en scène, c’est un petit nerveux en armure. – Palpite et pleure, peuple de Paris ! C’est moi, le cruel Attila, roi des Huns. Je suis implacable, impavide, imprévisible. Je décide qui doit achever d’exister et je foule à mes pieds qui prétend résister.
Entre sainte Geneviève, de l’autre côté de la scène. Elle a la coiffe des nonnettes et un grand chapelet autour du cou ; on sent en elle la bourgeoise pas commode. – Eh bien, en voilà, du raffut ! C’est vous qui faites du chambard ainsi ?
Attila, roulant des yeux terribles. – Je suis Attila, roi des Huns, fils de Moundzouk, guerrier sanguinaire.
Geneviève, pas ébranlée pour un sou. – Oui, bon. Moi, c’est sainte Geneviève, patronne de Paris et des gendarmes. C’est à vous l’armée qui est là-derrière ?
Attila, crânement. – Oui. J’ai avec moi cinq mille hommes prêts à semer carnage, enfer et désolation.
Geneviève. – Eh bien, il ne faut pas rester là. Le stationnement est interdit.
Attila, un instant dérouté, comme un petit gosse qu’on engueule. – On en a pour cinq minutes. Juste le temps de mettre la ville à feu et à sang.
Geneviève. – Je ne veux pas le savoir. Il y a un parking payant là-bas plus loin. Circulez !
Attila. – Bigre de bougresse, tes palabres me harassent et m’aigrissent. Ce soir, mes cohortes de Huns se répandront dans les rues de Paris, égorgeront les hommes, violenteront les femmes, désosseront les enfants.
Geneviève. – Le programme est alléchant, mais vous auriez dû envoyer des faire-part d’invitation parce que là, on est tous overbookés. Je ne sais pas si on va pouvoir caser ça dans nos agendas…
Attila, au comble de la fureur. – Je suis Attila, roi des Huns, fils de Moundzouk,…
Geneviève. – Oui, je ne dis pas, je ne dis pas. (A parte.) Dis donc, il y tient, à son C.V.
Attila. – À mon seul nom, l’air s’emplit de gémissements rauques.
Geneviève, a parte. – Des « gémissements rauques » ? Voilà-t-y pas qu’il va nous servir un petit concert de black metal. Il faut absolument le calmer, cet énergumène. Une rave party au monastère, ça serait très mal vu. (A Attila.) Venez donc voir par ici, mon petit Attila.
Attila, s’approchant d’elle, l’air menaçant. – Vous ne savez quel bourreau vous laissez venir à vous. Un vent d’épouvante s’élève à chacun de mes pas et la rumeur du monde m’a surnommé le Fléau de Dieu…
Geneviève, désinvolte. – Allons, allons ! Je suis sûre qu’au fond, vous êtes un brave homme. Tenez, je parie que vous aimez les chiens…
Attila, sombre. – Quand j’en attrape un, je le dévore tout vif.
Geneviève. – Ça serait assez mal vu à Paris. Notez que ça allègerait le travail des motocrotteurs… (Revenant à son sujet, cherchant à amadouer le roi des Huns.) Enfin, Attila, il y a dans votre poitrine un petit cœur qui bat… Parlez-moi de votre maman.
Attila. – Elle avait une voix extraordinaire…
Geneviève. – Ah, voilà.
Attila. – Quand je l’ai fait crever, accrochée par les mamelles aux rocs de Kharkov, elle a hurlé durant dix jours.
Geneviève. – Oui, enfin. Je ne devrais pas m’immiscer dans vos petites brouilles familiales. Revenons donc à votre projet qui… consiste à…
Attila. – Anéantir Paris !
Geneviève. – Ah oui, c’est ça. Anéantir Paris. Écoutez-moi, mon cher Titi… – Ça ne vous gêne pas, Attila, que je vous appelle Titi ? Je trouve que ça fait plus parisien. – Donc, voilà. Le problème, c’est que vous tombez mal. En ce moment, on est tous très pris…
Attila. – Que m’importe. Je suis Attila, roi des Huns…
Geneviève. – Oui, c’est entendu. Mais à Paris, ce n’est pas vendeur, « roi des Huns ». Pas assez glamour, vous saisissez ?… Çà, si vous aviez tourné un spot pour Chanel, je ne dis pas.
Attila, brandissant son arme. – J’ai mon épée du dieu de la guerre.
Geneviève. – Restez tranquille avec ça… (Elle lui confisque l’épée.) Il faut vous rendre à l’évidence : ces prochains mois, ça sera vraiment trop serré pour organiser votre… euh… festival interculturel. Ou alors, en été. À condition bien sûr de ne pas tomber en plein Paris-Plage.
Attila, suffoquant. – Paris-Plage ?
Geneviève. – Oui, tout le monde met son maillot et on va faire bronzette sur le quai des Tuileries. Vous imaginez la Seine ?… Ah ah, la Seine. Elle est bonne, celle-là, non ? (Attila ne comprend pas. Elle tente d’explique.) La Seine… Le truc plein d’eau qui coule sous le pont Mirabeau… (Attila n’est pas d’humeur à rire. Geneviève reprend.) Remarquez, il y a une autre solution pour votre petite sauterie. Ce serait de décentraliser. Monter ça en périphérie. Disons au bois de Boulogne.
Attila, au bord de l’apoplexie. – Au bois de Boulogne !
Geneviève. – Évidemment, à Versailles ç’aurait fait plus stylé. Mais là, mon pauvre Titi, vous arrivez mille ans trop tôt.
Attila, le souffle coupé. – Au bois de Boulogne !
Geneviève. – Oui, je vois que vous n’êtes pas très chaud. Ecoutez, moi il va falloir que j’y aille, j’ai encore quelques Ave Maria à expédier. Le mieux c’est que vous y réfléchissiez bien à votre aise. Et puis, après, on se recontacte. Qu’est-ce que vous en dites ?
Attila, pleurant de rage. – Je hais Paris. Je hais Paris ! Je ! hais ! Paris !
Geneviève. – On dit toujours ça au début. Et puis, on s’y fait. Allez, venez. Je vous raccompagne. (Elle tend l’épée à Attila.) N’oubliez pas votre petit couteau.
Attila, gémissant. – Mon épée du dieu de la guerre.
Geneviève. – Allons, allons ! je vous la rends, faut pas pleurer comme ça. Qu’est-ce qu’il dirait, papa Moundzouk ?
Attila, en pleine déconfiture, comme pour se persuader lui-même. – Je suis Attila, roi des Huns, guerrier sanguinaire.
Geneviève. – Vous savez, mon cher Titi, vous devriez aller faire un tour du côté d’Orléans.
Attila. – Orléans ?
Geneviève. – Mais oui, Orléans. C’est très joli : il y a la Loire, on dort bien... (Attila sort en traînant les pieds. Geneviève, vers les coulisses.) Allez, grimpez à cheval. Comme on dit par ici : « Monte là-dessus, tu verras Montmartre. »
Attila, en off, à ses hommes. – Les gars, j’ai changé d’avis. On va plutôt passer par Orléans.
Geneviève. – Au revoir, Titi. Bon voyage !... Bien le bonjour à madame… (Elle revient vers le public, très parisienne.) « Roi des Huns… roi des Huns… » Je t’en ficherai, du « roi des Huns »… Faudrait voir à pas prendre le petit Parisien pour le roi des hons !