La Postiche

C’est l’été, la saison des best-of ! L’occasion de ressortir des cartons quelques textes des temps jadis. Comme celui-ci, La Postiche, une farce en un acte créée à l’occasion des Scènes Ouvertes du Festival montois Théâtre en Rue dans la cour du Conservatoire de Mons les 17 et 18 septembre 2011 avec Filomena Falco Abramo, Nicolas de Gennaro, Emmanuel Moonen, Nicole Vanderbecq et Sandrine Vansnick. 


La Postiche [extrait]

farce en un acte de Jérémie Brasseur

La postiche 18 aout 2011

Alice et Geoffroy Tribaudet ont été tirés au sort, c'est ‘le couple de retraités gagnant’ : ils sont venus chercher les cadeaux qu’on leur a promis par téléphone chez Planète Bien-Aise, un magasin qui vient d’ouvrir dans la région. La Planque, le vendeur, les a en ligne de mire. Des pigeons pareils, pas question qu’ils lui échappent.

 

LA PLANQUE. – Ah, je vois que Madame et Monsieur ont le nez fin. Vous avez repéré tout de suite la plus belle pièce de notre collection.

ALICE. – On a fait ça, nous ?

LA PLANQUE. – La Combi Aminci Plus ! C’est le nec plus ultra de la technologie actuelle en matière de correcteur de silhouette.

TRIBAUDET. – Dis donc, mon vieux. Je m’en fous pas mal. Je viens chercher mon appareil-photo, celui que j’ai gagné…. A ce qu’on a dit à ma femme au téléphone.

ALICE. – Ouais. Où qu’y sont, nos cadeaux ?

LA PLANQUE. – On vous les prépare, n’ayez crainte… Je vous sens très impatients de les voir, et je vous comprends, chanceux amis.

ALICE. – C’est qu’on les veut.

LA PLANQUE. – Oui, j’ai bien compris.

TRIBAUDET. – Pas dans dix ans.

LA PLANQUE. – Allons, allons. Détendez-vous. Vous êtes chez Planète Bien-Aise. Laissez vos soucis entre parenthèses. Quand vous avez posé votre regard sur la Combi Aminci Plus, j’ai vu une étincelle d’envie s’allumer au fond de votre œil.

ALICE. – Au fond de mon œil à moi ?

LA PLANQUE. – Au fond de votre œil à tous les deux.

TRIBAUDET. – Vous avez vu ça alors qu’on vous tournait le dos ?

LA PLANQUE. – Ce n’est pas pour rien que j’exerce ce métier. Et puis, ça se comprend. Qui ne languirait pas d’avoir la fameuse Combi Aminci Plus ? Qui ne se laisserait pas conquérir par ses charmes irrésistibles, sa texture ultra-moderne, son coloris hyper-tendance et ses bienfaits aussi nombreux qu’insoupçonnés ? Qui pourrait rester insensible ? Qui donc ?

TRIBAUDET. – Moi.

ALICE, après un léger temps, comme fascinée par la Combi. – Ça coûte combien ?

LA PLANQUE. – C’est pour rien…

ALICE. – Ah.

LA PLANQUE. – … Comparativement aux vertus extraordinaires de ce produit-miracle. Tenez, Madame, faites-vous plaisir. Essayez-la.

ALICE. – Moi ?

LA PLANQUE. – Ne soyez pas embarrassée. Demain, tout le monde dans la rue vous regardera avec envie.

ALICE. – Ça, j’aimerais bien. Quand j’irai me promener avec maman au Waux-Hall…

TRIBAUDET. – Bon ben alors, vite fait, hein. Juste pour rigoler.

ALICE, tout en enfilant la combinaison avec difficulté. – Aïe ! Vous êtes sûr que c’est ma taille ?

LA PLANQUE, qui aide Alice tant bien que mal. – On jurerait qu’elle a été spécialement conçue pour vous… Là, c’est parce que c’est neuf, mais ça va se mettre…

ALICE. – J’ai l’air de quoi ?

TRIBAUDET. – T’as l’air d’un sac.

LA PLANQUE, conciliant. – Un joli sac, tout de même.

ALICE. – Je veux pas avoir l’air d’un sac.

LA PLANQUE. – Rassurez-vous, Madame. La Combi Aminci Plus œuvre à votre beauté sur le moyen et sur le long terme.

ALICE. – Qu’est-ce que ça veut dire ?

TRIBAUDET. – Ça veut dire que dans l’immédiat, tu l’as dans l’os.

LA PLANQUE. – Grâce à son effet gainant et à sa texture en fibre de bambou norvégien, la Combi Aminci Plus raffermit vos seins, redessine vos hanches, réduit l’aspect peau d’orange.

TRIBAUDET. – Sans blague ?

LA PLANQUE. – C’est prouvé scientifiquement.

ALICE. – Ouah, scientifiquement !

LA PLANQUE. – La Combi Aminci Plus dégage également des électrons positifs qui activent la microcirculation, enlève toute sensation de fatigue et stimule l’appétit sexuel.

TRIBAUDET. –  Stimule l’appétit sexuel ?

ALICE. – Scientifiquement ?

LA PLANQUE. – Scientifiquement, Madame.

TRIBAUDET, sortant son portefeuille. – Bon, si ça stimule... Hein, bobonne ?... Combien ça vaut ?

LA PLANQUE. – Ça vaut tout l’or du monde.

ALICE. – Alors non, c’est pas dans nos moyens.

LA PLANQUE. – Mais nous vous l’offrons ici, chez Planète Bien-Aise, à un prix imbattable…

TRIBAUDET. – Ah oui ?

LA PLANQUE. – Un prix défiant toute concurrence.

TRIBAUDET. – Tiens donc !

LA PLANQUE. – Un prix à faire blêmir la Chine entière.

ALICE. – Bah, on n’a pas d’amis chinois…

LA PLANQUE. – 4.000 euros.

TRIBAUDET, remettant son portefeuille en poche. – Ah !

LA PLANQUE. – T.T.C.

ALICE, enlevant la combinaison. – On reviendra voir aux soldes…