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Le Cid ardemment moderne

C’est l’été, la saison des best-of ! L’occasion de ressortir des cartons quelques textes des temps jadis. Comme celui-ci, Le Cid ardemment moderne, une farce en un acte créée à l’occasion des Journées du Patrimoine (sous la direction de Roseline Hogne) le 13 septembre 2009 au Théâtre de Verdure de Bougnies avec Roger Blondiau, Jérémie Brasseur, Enza Leone, Jacques Marlier et Sandrine Vansnick. 


Le Cid ardemment moderne [extrait]

farce en un acte de Jérémie Brasseur

Le Cid... Bougnies 2009

 

Sandrine. — Les amis, je crois qu’une mission nous attend. Nous devons moderniser Le Cid pour transmettre ce glorieux patrimoine aux générations futures.

Enza. — Mais comment ?

Jérémie. — Il faut faire une sorte de remake.

Roger. — Bingo ! On garde le titre, on garde le nom de l’auteur, et tout le reste on le ressort à notre sauce. C’est comme ça qu’ils font à Hollywood.

Jacques. — Ouais. Il paraît qu’ils vont tourner Huis clôt de Jean-Paul Sartre avec Daniel Radcliffe dans le rôle du cascadeur.

Sandrine. — Attends ! y a pas de cascadeur dans Huis clôt.

Jacques. — Dans la version américaine, si.

Roger. — Bon, écoutez. Disons que don Diègue ce serait un vieux collègue de Rodrigue et il viendrait d’être mis à la retraite anticipée suite à la restructuration de son entreprise.

Jérémie. — Oui, alors don Diègue il espère que Rodrigue va le soutenir vu que Rodrigue il est délégué syndical…

Roger. — Mais le PDG de l’entreprise,… comment qu’il s’appelle ?

Sandrine. — Gomès… Don Gomès !

Roger. — Ah oui ! Don Gomès, c’est justement lui qui pistonne la jeune déléguée commerciale aux yeux de braise…

Sandrine. — La belle Chimène…

Jérémie. — … avec qui Rodrigue tchatte sur Facebook pendant les heures de bureau.

Jacques. — Super. On part de là et on brode.

Sandrine. — Okay. Jérémie, tu fais Rodrigue ? Roger, don Diègue ?

Roger. — Ça marche. Juste deux secondes que je m’imprègne du personnage et je me lance.

Sandrine, Enza, Jacques et Jérémie quittent la scène. Roger prend des poses de grand tragédien, puis d’une voix de stentor :

Roger/don Diègue. — Ô rage ! ô désespoir ! ô prépension ennemie ! Est-ce que j’ai bossé quarante ans juste pour des clopinettes ?

Jacques, revenant en scène. — Oh Roger, excuse-moi de t’interrompre.

Roger. — Mais je t’en prie.

Jacques. — Je suis désolé, hein.

Roger. — Tu fais comme tu le sens.

Jacques. — Non parce que ça m'ennuie de te casser dans ton élan.

Roger. — Y a pas de mal, y a pas de mal.

Jacques. — D'autant plus que je t’ai coupé dans ta réplique.

Roger. — Oui mais en même temps, j’aime mieux si tu as un truc à dire…

Enza, revenant en scène à son tour. — Oh, les gars ! c’est bon ? On peut y aller ?

Jacques. — Ouais. En fait, Roger, je me posais la question, au niveau de l’alexandrin classique... quand tu remplaces : « N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie » par : « Est-ce que j’ai bossé quarante ans juste pour des clopinettes », est-ce qu’on ne perd pas un peu – comment dirais-je ? – de la pureté de la métrique originelle ?

Roger. — Eh bien, je vais te dire, ça dépend des écoles. Si tu considères le Manuel de versification de Bernarmont dans son édition de 1873, il est clair qu’il y a entorse à l’usage mais si tu regardes dans le P’tit dico des grands poètes de Francis Lalanne à la page 36…

Enza. — Non, mais arrêtez, là ! vous êtes lourds. On fait du théâtre, pas de la ‘conciliabulerie’.

Jacques, quittant la scène avec Enza. — Bon, on reprend.

Roger/don Diègue. — Est-ce que j’ai bossé quarante ans juste pour des clopinettes ? Rodrigue !…. Rodrigue !… Où qu’il est passé, Rodrigue ?

Jérémie, entrant en scène en vitesse. — Okay, okay ! je suis là.

Roger. — Mais enfin, qu’est-ce que tu foutais ?

Jérémie. — C’est parce que Chimène m’a dit de venir dans un coin pour, euh… Enfin, bref. Me voilà.

Roger/don Diègue. — Rodrigue !

Jérémie/Rodrigue. — Oui.

Roger/don Diègue. — Rodrigue !

Jérémie/Rodrigue. — Oui,…

Roger. — Non mais attends avant de répondre. Je n’ai pas fini ma réplique.

Jérémie. — Oh pardon, au temps pour moi.

Roger/don Diègue. — Rodrigue ! As-tu des couilles ?

Jérémie. — Dis donc, le cœur est descendu bien bas depuis l’époque de Corneille.

Roger/don Diègue. — Rodrigue, mon camarade, si tu es un vrai délégué syndical, tu dois lancer une grève sauvage devant le bureau du grand patron et réclamer sa tête devant les caméras de RTL-TVI.

Jérémie/Rodrigue. — La tête du grand patron ?

Roger/don Diègue. — Oui, Rodrigue.

Jérémie/Rodrigue. — La tête de Don Gomès ?

Roger/don Diègue. — Oui, Rodrigue.

Jérémie/Rodrigue. — Le piston de ma Chimène !… Ecoutez, don Diègue, étant donné la conjoncture, dans un contexte de crise économique mondiale, je ne crois pas qu'il soit judicieux d’entreprendre…

Roger/don Diègue. — Rodrigue. Si tu ne me défends pas, je me désaffilie. Tu m’entends : je me désaffilie. Tu veux avoir ça sur la conscience ?

Jérémie/Rodrigue, solennel. — Don Diègue, c’est le devoir qui m’appelle par ta bouche. Je descends dans la rue de ce pas. (Il sort.)

Roger/don Diègue. — Prends l’ascenseur, l’escalier est en panne.

Jacques, Enza et Sandrine reviennent sur scène.

Sandrine. — Ouah ! « Prends l’ascenseur, l’escalier est en panne. » Quelle répartie !

Roger. — Merci, merci beaucoup. Ça m’est venu comme ça dans le coup de l’émotion.

Jacques. — Ah, c’est plein d’esprit en tout cas, c’est plein de pêche et ça termine l’acte 1 comme un pot d’échappement au cul d’un camion.

Enza. — Oui, on tient le spectateur en haleine. Que va-t-il arriver à Rodrigue le petit syndicaliste ?…

Sandrine. — … Et à Chimène, la pulpeuse déléguée commerciale ?