Le chapelier allumé

 

Basile salue en tirant respectueusement son chapeau.

 

Antoine – Mais que faites-vous, mon cher ?Sophie Gérin - Sébastien Lambert

Basile – Je tire mon chapeau, Monsieur.

Antoine – À qui, bon Dieu ? Je ne vois personne.

Basile – Et pourtant, ils sont des milliers, Monsieur.

Antoine – Ah bon ! Mais qui ça, ‘ils’ ?

Basile – Tous ceux qui continuent à marcher tête haute, Monsieur. 

Antoine – Où ça ? Vous les voyez, vous ?

Basile – Là-Bas. Regardez comme ils sont fiers. On dirait leurs ancêtres quand ils ont gagné leurs bonnets phrygiens d’esclaves libérés.

Antoine – Des bonnets ? Vous êtes toqué mon cher, je ne vois rien.

Basile – Non ! Vous, vous ne voyez rien de tous ceux qui à longueur de mois en bavent des ronds de chapeaux. Vous ne voyez pas comme ils restent debout, malgré les gros bonnets qui voudraient leur faire porter le galurin.

Antoine – Mais qui donc voudrait faire porter quoi à qui ? Je ne comprends rien à ce que vous dites. Vous perdez la boule, mon vieux ! 

Basile – Oh oui, j’en ai ras la casquette de tous ces gens si haut placés, si imbus d’eux-mêmes qu’ils ont perdu toute humilité. Aucun ne mangerait son bob.

Antoine – Qui est Bob ?

Basile – Peu importe ! Aucun ne mangerait son bob, son canotier ou son casque.

Antoine – Comme je les comprends ! ça doit être fort indigeste.

Basile – Non, c’est une expression qui veut dire qu’aucun d’eux n’accepterait de reconnaître ses erreurs. Ils préfèrent rester en place, encourager chacun à opiner du chef pour toute nouvelle avancée vers le futile et inciter tout le monde à s’occuper du bibi de la gamine plutôt que du sien.

Antoine – Mais cela est immuable, mon cher ! Les grands de ce monde, et même les grands d’un tout petit pays vous savez, ne supportent pas d’être coiffés au poteau. Et ceux qui peuvent se permettre le Pérou ou même le Panama sont loin des soucis de ceux qui tendent leur vieux béret troué dans l’espoir de récolter une pluie, aussi fine soit-elle, de pièces de cuivre.

Basile – Il est clair qu’en gardant les yeux fermés, tel un sombrero posé sur nos paupières lourdes, nous finirons tous par jouer du feutre.

Antoine – Ainsi va le monde, mon cher ! Je ne vois pas de solution.

Basile – J’en vois une, Monsieur. Je mise sur le sursaut d’humanité qui, tel un lapin surgi d’un Borsalino, nous secouera le melon à tous. Alors, cette humanité nous remettra en forme. En haut de forme !

 

Sophie Gérin (novembre 2020)